Ganpati : Statues de gros éléphants colorés qui dansent, qui nagent, qui coulent

Photo: AB

La semaine dernière s’achevait Ganesh Chathurti. C’est la fête dédiée au dieu à tête d’éléphant, particulièrement populaire à Bombay et dans l’etat du Maharashtra. Le premier jour, les hindous vont se baigner pour se purifier puis vont acheter une statue de Ganesh, dont la taille peut osciller entre quelques centimètres et plusieurs mètre de haut (c’est la même chose partout : savoir qui a la plus grosse) qu’ils vont honorer matin et soir pendant quelques jours.

Le dernier jour, ils vont immerger la statue-dieu en lui demandant chance et prospérité.

Cette année, la fête dura 11 jours.

Les premiers et les derniers jours était absolument déments. De 8h du mat’ à minuit, il était impossible de se balader à Bombay sans croiser des enceintes crachant de la musique à toute berzingue, des joueurs de tambour qui tapaient sur leur fût jusqu’à en crever et des processions composées de centaines de personnes qui suivaient les statues dans la rue, avec tout le monde qui dansait et les gamins qui se lançaient de la peinture en poudre à la figure (comme pour Holi, la fête des couleurs).

Je suis toujours stupéfait du volume de la musique pendant les fêtes indiennes. La plupart du temps, les organisateurs utilisent des camions transportant un mur d’enceintes de trois mètres de haut (encore une fois : qui a la plus grosse?) crachant de la musique à un volume à la limite du supportable, et ce, dans la plupart des quartiers, riches comme pauvres. Et la musique, la plupart du temps n’a rien d’une douce mélopée ou d’un raga lancinant ; non, c’est plutôt un mix entre le dernier tube de Bollywood et de la grosse musique de discothèque. David Guetta serait stupéfait de voir quel succès il a ici aussi (malheureusement). Évidemment, les basses sont au max, le beat est un coup de marteau répété sur une enclume, et la musique sature comme un crissement d’ongles sur un tableau noir.

En un mot, c’est insupportable.

Mais l’ambiance que mettent ces futurs sourds est incroyable. Je crois qu’on ne peut pas entièrement comprendre le sens de l’expression « faire la fête » avant d’avoir été à un festival ici. Les mecs ne se retiennent plus, ils deviennent complètement fous et le plus étonnant c’est que beaucoup n’ont ingérés ni alcool, ni drogues.

Photo: AB

Pour en revenir à Ganpati (autre nom de la fête du gros Ganesh), le dernier jour (lundi 8 septembre cette année) consistait en un exode massif vers le point d’eau le plus proche pour immerger une multitude de statue du dieu éléphant. Et là, attention le spectacle : je crois que je n’ai jamais vu autant de gens réunis en un seul endroit. C’est dans ces moments là qu’on se fait la réflexion assez con qu’en fait, il y a vraiment beaucoup de monde dans ce pays.

J’étais avec mes camarades sur Chowpatty Beach, une très jolie plage sur Marine Drive, la promenade des anglais de Bombay. C’était à cet endroit que tout le beau monde se retrouve à Bombay, moins pour l’immersion des petites statues que pour assister au défilé de statues géantes de Ganesh qui défilaient par dizaines, gigantesques créatures colorées aux formes voluptueuses.

Du lundi matin, jusqu’à 5h le matin suivant, c’était donc une procession de Ganesh de 5 mètres de haut, colorés, dansants et voués à un seul et unique destin : la noyade dans la grande mer d’Arabie.

A chaque passage de Ganesh, perché sur ses roues et dévalant la pente de la plage à toute vitesse, tout le monde hurle « Morya » comme un signe de ralliement, comme le salut à un dieu rock-star, dont les dévots sont des groupies hystériques et dégénérés et non des pèlerins silencieux et endormis.

Cette fête massivement célébrée pose aussi un certain nombre de problèmes (évidemment ! nous sommes en Inde), notamment de pollution. En effet, le lendemain de la fête, en plus du fait que les plages semblent avoir été pilonnées au mortier toute la nuit, on aperçoit des bancs entier de poissons morts tués par les composants des statues dont la teneur acide et chimique est beaucoup trop élevée. A la base, ces statues étaient en argile, matériau naturel et facile à dissoudre dans l’eau, mais de plus en plus, ces statues sont en plâtre (plus long à dissoudre) et sont recouvertes de peintures pleines de métaux lourds très mauvais pour l’environnement.

Les indiens savent faire la fête, c’est sûr, mais ils savent aussi la gâcher. Malheureusement, c’est cette folie aux conséquences incontrôlées qui fait l’intérêt de ce type de festival, et de cette ville qui ne deviendra jamais raisonnable.

Pas de panique! Tout va bien…

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Photo : AB

Pas de panique, si on vous dit qu’une situation est catastrophique, il vous reste encore un peu de temps pour ne pas agir, jusqu’à ce qu’elle devienne désespérée (et je suis sûr qu’on peut trouver d’autres adjectifs encore).

C’est en substance ce que critique cet article de Mumbai Boss (très bon magazine en ligne par ailleurs), citant un article du journal India Today dans lequel les auteurs énumèrent tout ce qui ne va pas à Mumbai, et précisent sans rire que la ville est « au bord de l’explosion». Ce qui est amusant – ou tragique, tout dépend de notre cynisme – c’est que cet article date de … 1983.

Il y a 31 ans.

Ca fait donc depuis au moins 30 ans que tout le monde est d’accord pour dire que la ville va très mal et qu’il faut absolument faire quelque chose pour changer ça.

Et ça fait donc depuis au moins 30 ans que rien n’est fait.

Les auteurs de cet article ont mis en avant plusieurs problèmes de cet époque, qui sont à peu près les mêmes aujourd’hui, en bien pire évidemment :

  • La ville est pleine à craquer

  • Un appartement coûte un bras

  • Il n’y a pas d’eau pour tous et tout le temps

  • On vit dans une jungle de béton

  • On voyage dans une densité insupportable

  • On a un problème de rats (à ce propos, voir mon article → les amateurs de rats adoreront)

  • Les gens veulent toujours émigrer à Bombay ( … mais moins qu’avant)

Bref, c’est effrayant car le jour où tout va exploser, ça risque de péter très fort, ambiance fin du monde. Et ce n’est même pas sûr que ça fera changer les choses…

L’article en question :

http://mumbaiboss.com/2014/07/24/this-city-was-doomed-back-in-1983/

Masala rats

mumbai rat killer

Récemment, dans les pages de nombreux quotidiens indiens, un fait divers a été relayé de manière catastrophiste. Ce fait divers concerne un de mes sujets préférés : les rats. Dans un avion Calcutta-Delhi, un certain nombre de ces petits rongeurs sympathiques ont été trouvés, ce qui a du nécessiter une immobilisation et un traitement immédiat de l’avion. Il n’y rien de surprenant à ce qu’il y ait des rats dans les avions : les convois de bouffe s’acheminant vers ceux-ci font un transport parfait pour les petites bêtes qui aiment à se délecter de ce qui se fait de mieux en matière de nourriture occidentale ; c’est la raison pour laquelle les rats ne sont pas uniquement attirés par les avions indiens mais par les avions du monde entier. Le principal risque est évidemment que les rongeurs poilus se mettent à se nourrir de fils électriques, ce qui peut poser de sérieux problèmes à un avion en vol.

Le détail flippant de cette affaire est que ce ne sont pas un ou deux rats qui ont été découverts, mais toute une nuée. Ca ressemble déjà à un mauvais film d’horreur mais , en plus, quand on voit la taille des rats à Bombay par exemple, ce n’est pas vraiment rassurant.

Soyons tout de suite clairs, Bombay est une ville infestée de rats. Et ils ne se cachent pas, hein ! Ils se baladent à la vue de tous, avec leur gros ventre rempli de masala et d’épices, leurs poils sales et leur grosse queue cerclée. Certains sont tellement gros que vous pouvez les confondre avec des petits chats, c’est assez effrayant.

Actuellement, à Bombay, la municipalité emploie 31 « night rat killers » pour s’occuper de toute la ville. Étant donné que selon certaines estimations, il y a 88 millions de rats à Bombay (!!!), on peut dire que le combat n’est pas gagné. Ces types sont armés d’un bâton et pour gagner les 5000 roupies que leur promet la municipalité chaque mois, ils doivent tuer au moins 30 rats chaque nuit.

rat mignon

Mais pourquoi la municipalité ne veut pas mettre du poison et qu’on en finisse ? Parce que vu la densité qu’il y a dans certaines zones résidentielles et considérant la quantité de gens qui dorment dans la rue, ce serait beaucoup trop dangereux. Sans compter que trois à quatre mois par an, la mousson emporte toute la mort au rat sur son passage. La solution « bastonnade de rats » leur a donc semblé la plus appropriée.

En moyenne 150 000 rats sont tués chaque année. C’est bien, mais il en faudrait 100 fois plus pour pouvoir commencer à endiguer le problème.

Cette présence massive pose de nombreux problèmes : détérioration des connections électriques ainsi que des fondations des bâtiments, saleté, maladie… Et ce n’est pas près de s’arrêter, le rat étant une créature du démon, très intelligente, adaptable, et résistante.

Imaginez 88 millions de rats pour une quinzaine de millions d’habitants, ça fait 6 rats pour un habitant. Les rats se reproduisant très vite, la situation – qui est déjà catastrophique – risque de devenir désespérée en tout point, et surtout si une épidémie transmise par les bêtes aux longues dents apparaît et se développent.

Heureusement qu’il y a des gens responsables, comme la société protectrice des animaux du coin souhaitant la fin de toutes les mesures visant à tuer les rats.

Mais ce problème, même s’il est particulièrement amplifié à Bombay, ne concerne pas uniquement l’Inde. En effet, dans le monde entier, dans les grandes villes modernes comme dans les campagnes reculées, les rats se développent à une vitesse effrayante et représentent une menace contre laquelle il est probable qu’il faille lutter sérieusement très prochainement.

NB : Un documentaire qu’il a l’air bien :

http://www.theratrace.co.in/

Théorie – pratique² + cos Bombay = gros bordel

Un titre qui ne veut rien dire.

Charles Correa est un peu la star indienne de l’urbanisme et de l’architecture. Théoricien, activiste, penseur, il a réinventé la façon de voir l’espace en Inde. Il a notamment travaillé sur les questions d’urbanisme liées à l’environnement, aux communautés et au logement abordable.

Dans les années 70, on lui a demandé de travailler sur la création d’une ville nouvelle : Navi Mumbai. L’objectif était de décongestionner la ville en transférant le centre économique vers un endroit d’où une extension serait plus simple.

En effet, à Bombay, le centre économique est dans une petite bande de terre située à l’extrême sud de la ville, ce qui n’est pas viable notamment au niveau des transports et de l’équilibre de la ville. Il s’agissait alors de bouger ce centre économique vers l’est, afin de stopper la migration sur l’île de Bombay qui ne peut pas s’étendre à l’infini et de développer de nouveaux pôles moins denses tout en favorisant les transports.

L’idée était bonne mais au final, rien n’a bougé. Le centre économique est toujours au sud, Bombay devient de plus en plus dense et les condition de transport, d’habitat ainsi que la pollution deviennent des problèmes qui semblent impossibles à résoudre.

C’est triste d’assister à la déchéance d’une ville où les bonnes idées ne manquent pas, où on peut trouver une multitude de gens très volontaires, mais où la paralysie institutionnelle et la corruption sont tellement présents qu’il est impossible de changer quoi que ce soit.

Voici un petit film de 17 minutes réalisé par Charles Correa en 1975 expliquant de manière très simple et très ludique l’esprit et la raison de la création de Navi Mumbai.

 

Vendeurs de rue, pots-de-vin et Panipuri

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Pour beaucoup d’indiens mais aussi d’étrangers, Bombay est synonyme de street-food. La bouffe de rue réunit tout le monde : les riches comme les pauvres, les familles le week-end, aussi bien que les travailleurs pour leur pause déjeuner.

Le vada pav est le roi de Bombay. Il s’agit en substance d’un burger à la pomme de terre ; c’est bon, c’est gros, c’est gras, tout le monde aime ça. Après viennent les Panipuri (sortes de boules frites creuses qu’on mange après les avoir rempli d’un liquide parfumé – dur à expliquer), les Sevpuri (patates, chutney, oignons : que du bon) ou encore les Bhelpuri (riz soufflé).

Bref, y a le choix, c’est assez bon, très nourrissant, et manger dans la rue vous donnera automatiquement l’impression d’être un Mumbaikar, un vrai de vrai, surtout si vous vous en mettez plein sur le t-shirt et que vous vous dites que vous aimeriez bien faire une petite sieste après.

En bas de chez moi, j’ai justement un de ces vendeurs. Il paraissait un peu déprimé l’autre jour car la mousson a complètement flingué son business. C’est sans doute pour ça qu’il a augmenté ses prix. Il vend le Sevpuri a 25 roupies et le Panipuri ainsi que le Belpuri a 20 roupies.

Il fait partie des 250000 vendeurs de rue de Bombay, et comme la plupart, il galère pas mal.

A Bombay, on peut tout acheter dans la rue : nourriture, drogue, portables, ustensiles, vêtements… Ce que vous cherchez, vous aurez de fortes chances de la trouver dans la rue.

En mai dernier est passée une loi qui donne plus de droits et qui réglemente de manière assez flexible le statut et l’activité de ces vendeurs de rues. En effet, avant ça, seuls 15 000 des 250 000 vendeurs avaient une licence leur permettant d’exercer légalement. Les autres devaient payer des pots-de-vin aux flics du coin pour qui c’était une grosse source de revenu (chaque année, le total de ces pots-de-vin atteignait plusieurs dizaines de millions d’euros).

Ces « street hawkers » ne sont pas forcément très bien vu par la population Mumbaikare. En effet, beaucoup d’entre eux sont des immigrés venant d’autres parties de l’Inde et qui dit immigré, dit ramassis de conneries sur les immigrés, c’est à dire : ils sont sales, ils font du bruit (le fameux « bruit et odeur » est universel, c’est rassurant), ils sont voleurs, ils parlent mal Hindi/Marathi, et ils sont les principaux responsables de l’état actuel de délabrement de la ville de Bombay.

Mais, je vous rassure, Bombay n’a pas besoin d’eux pour être dans l’état dans lequel elle est…

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Après une énième descente de police, Ram Babu, un vendeur affilié à un « syndicat de hawkers » raconte : « Si les flics nous attrapent, on doit payer une amende de 1250 roupies. Beaucoup d’entre nous ne peuvent pas se le permettre.

Rajiv Gupta, un autre vendeur, ajoute : « Mon père avait un stand de fruit avant moi. Ça fait deux décennies que je travaille dans cette rue. Je ne sais pas si aujourd’hui sera un jour rentable, car je suis obligé de me cacher et d’attendre que la police parte pour reprendre mon business. On ne vole personne ! Pourquoi le gouvernement nous traite t-il de cette manière ? »

C’est typique de Bombay, ainsi que de ses paradoxes : plutôt que d’essayer de réglementer et/ou de contrôler ce type de business qui, de toute manière, perdurera quoi qu’il arrive, les gouvernements successifs ont préféré s’attaquer sans réfléchir à tous ces vendeurs, permettant au passage aux flics de s’en mettre pleins les fouilles, et ont accentuée la situation de misère dans laquelle ces gens, qui ne sont là que pour travailler, sont déjà plongés.

Espérons que la loi qui est passée il y a deux mois fera évoluer cette situation, même s’il est plus que probable que les policiers sauront toujours trouver des failles pour continuer leur commerce bien juteux.

(SOURCE)

Ceux qui m’aiment prendront le train

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A Bombay, le train est un poême expressionniste, dur et méchant, rêche et violent. Les gares rassemblent tout le monde, aussi bien une classe moyenne aisée que des gens d’une misère insoutenable. Les gares sont le vecteur de l’Inde du bas, là où vous êtes sûrs de trouver ceux que vous ne cherchez pas toujours : les noirs, les blancs, les estropiés et les mendiants, beaucoup de jeunes en bande, quelques femmes seules, et des milliers de personnes portant exactement la même chemise, avec le même air fatigué et la même sacoche abîmée par des heures, des jours, des semaines entières passées dans les trains moites de cette fourmilière urbaine.

La deuxième classe est miteuse, la première l’est tout autant mais ça importe peu. Quand les uns ont des smartphones neufs, les autres ont des fausses bagues en diamant. A chacun son luxe. Ces gens passent facilement trois à quatre heures par jour dans les transports, c’est comme leur seconde maison. Certains se connaissent, d’autres se dévisagent, d’autres encore s’en foutent. C’est la vie.

Les portes sont ouvertes, chacun peut avoir les cheveux au vent. Riches comme pauvres.

Les cheveux gras sont étrangement moins sensibles à l’air fouettant.

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Hier, un mec pas bien riche, comme tous les mecs pas bien riches du monde, était allongé sur une banquette du train. En première classe. Un homme à la chemisette blanche et à la moustache effilée, arrive, le secoue, l’insulte, lui dit de se tirer. L’autre se réveille, le regarde dans les yeux d’un air de défi mais à moitié endormi, sachant qu’il n’a pas le droit d’être ou il est, sachant qu’il n’a pas de billet, sachant qu’il appartient à la mauvaise caste, sachant que le combat est perdu d’avance ; il hésite, ne dit rien, se lève et va se mettre près de la porte. L’autre veut qu’il sorte pour de bon, et ne trouve donc rien de plus que de lui taper sur la gueule, sûr de son fait, toujours sûr de son fait. La désapprobation sociale ne le touchera pas, l’histoire, la société et même son pays sont avec lui. Il a payé son ticket, il a le droit d’être ici, l’autre n’en a pas le droit ; il n’a d’ailleurs pas de droit, et même si sa pauvre situation est déjà le prix de son lourd tribut, il a juste le droit de fermer sa gueule et de partir là où il sera invisible, comme ses millions de congénères.

C’est simple et efficace, tant pis pour les perdants et les malchanceux.

Plouf!

Copyright AB

Ca y est, c’est la mousson. Censée arriver mi-juin, elle a été un peu retardée cette année et a commencé à tomber pour de bon début juillet. Et cette année (comme tous les ans apparemment), c’est épique : des seaux d’eau qui tombent du ciel, la circulation bloquée, les trains arrêtés, certaines rues inondées les télécommunications coupées, le tout nouveau métro super-moderne-qui-fait-la-fierté-de-la-ville qui fuit à l’intérieur … En gros, une atmosphère de guerre civile ou de fin du monde, au choix.

C’est amusant de voir que la mousson, ce phénomène qui existe ici depuis la nuit des temps, et qui réside plus ou moins toujours sur le même principe – des tonneaux d’eau qui tombent du ciel pendant une petite centaine de jours – n’est toujours pas maîtrisé et engendre des quasi-scènes de chaos dans les rues.

Bombay est une ville basse, construite au niveau de la mer, et en partie sur une zone marécageuse. Bombay est techniquement une île, avec la mer d’Arabie au sud et à l’ouest, une rivière au nord et une crique à l’est.

Bombay est plate comme une limande, ajoutez à ça un système d’évacuation des eaux souvent défaillant, parfois inexistant et vous aurez régulièrement des scènes de piscine publique en plein milieu de la ville, comme si de rien n’était

Ce court article de blog du Wall Street Journal nous apprend comment survivre dans les slums en période de mousson. En substance c’est : ne pas manger chez soi, mettre du plastique autour de tout ce qui dépasse et sortir le moins possible de sa maison dont les meubles auront été surélevés au préalable.

En gros, ce ne sont pas des solutions pour gérer efficacement la période de la mousson tout en poursuivant une vie normale, mais plutôt des manières de moins subir ces trois mois pendant lesquels la vie est profondément bouleversée.

Shivaji Nagar – la décharge de Déonar

Rivière près de la décharge, ShivajiNagar

Rivière près de la décharge, ShivajiNagar

Shivaji-Nagar est un quartier situé à l’est de Bombay. La situation de ce bidonville est très intéressante. Ce n’est pas Dharavi, la queen of the slums, bidonville modèle, médiatique et sexy. Non, Shivaji-Nagar en est même l’antithèse.

Déjà, il n’a pas le statut de slum, c’est officiellement une planned resettlement colony. Pourquoi resettlement ? Parce que ce quartier a été créé de toute pièce pour reloger des habitants expulsés d’autres bidonvilles. C’était en 1976. Le problème est, qu’en plus d’avoir été éjectés de leur maison ou ils avaient leurs voisins, leur famille et leur business, ces gens se sont retrouvés dans un semi-marais suintant la puanteur et la maladie, envahi de moustiques et enclavé entre un énorme abattoir et une décharge à ciel ouverte qui est aujourd’hui la plus grande poubelle de Bombay.

La conséquence est que ces gens ont donc vendu, loué, ou abandonné leur nouvelle maison pour se réinstaller le plus souvent dans le quartier duquel ils venaient tout juste de se faire expulser.

Petit à petit, ce quartier a donc été réinvesti par une population différente, qui s’est installée dans l’ombre sans arrêt grandissante de cette décharge géante. La Deonar dumping ground est aujourd’hui la plus grosse décharge de Bombay, princesse de la crasse. Et pourtant, la première fois que j’ai vu ce tas d’ordure à 1 km de distance, j’ai eu l’impression d’une très grande dune de sable donnant sur la mer et surplombant les cocotiers.

En réalité, ce tas de merde ouvert en 1927 s’étend sur 110 hectares et peut atteindre la taille d’un immeuble de 7 étages. Il contenait 9,2 millions d’ordures en 2008 et reçoit tout ce dont la ville ne veut pas, des ordures ménagères aux déchets électroniques, en passant par des des déchets bio-médicaux qui sont incinérés sur place, rejetant tous leurs sales composants nocifs dans l’atmosphère.

C’est une des raisons pour lesquelles les maladies se développent très vite à Govandi : Asthme, Polio, maladies de peau, maladies des poumons sont autant d’infections qui ont trouvé un foyer accueillant à Shivaji-Nagar, grâce à cette montagne de microbe qui pollue la zone.

Shivaji Nagar Plan

Les anecdotes ne sont pas rares : par exemple, en 2008, l’Autorité de l’aviation civile a autorisé un rehaussement de la hauteur de la décharge, de 35 à 45 m², ce qui a permis de gagner environ 60 hectares de volume d’ordures. Belle avancée, pourvu que les avions ne se crashent pas dans ce tas de merde.

Ou alors, la municipalité de Bombay a émis l’idée de génie de commander 42000 litres de déodorant pour la jolie somme de 112000 dollars que des agents devaient asperger pendant 8 mois sur l’amas d’ordure afin de lutter contre l’odeur infâme qui y régnait.

Il semblerait que ce projet diabolique ait été abandonné.

Puisque les chiffres et les « facts », c’est sympa, en voilà quelques uns qui montrent l’ampleur du désastre :

  • 8000 tonnes d’ordure sont produites chaque jour à Bombay

  • Environ 5000 tonnes vont directement dans la décharge de Déonar

  • Il y en a trois autres à Bombay qui sont complètement saturée : Mulund, Kanjunmarg et Mahim-Dharavi

  • L’état du Maharashtra génère la moitié des déchets industriels dangereux du pays : 2,1 millions de tonnes. Ceux-ci sont soit jetés illégalement, soit mal traités, causant une pollution environnementale accrue et un danger pour la santé des populations proches

  • La ville de Bombay n’a pour l’instant aucun plan établi concernant le traitement des déchets, tout juste quelques usines de traitement en construction, mais pas de vision à long terme qui prend en compte l’explosion démographique de la ville.

SOURCE

Misère et vicissitudes à Shivaji Nagar

Shivaji Nagar

Il y a une multitude de slums à Bombay : des vrais, des faux, des laids, des beaux, des gros touffus, des p’tits joufflus (merci Pierre Perret). Il y en a des biens construits, des presque détruits, il y en a des très vieux et d’autres tout nouveaux, certains sont très pauvres et d’autres fourmillent d’activité.

Il y a Dharavi « queen of the slums » et Govandi « queen of the bums ».

Je ne m’attarderai pas trop sur Dharavi car tout ou presque a été dit (j’en ferai peut-être un résumé plus tard), en revanche, Shivaji-Nagar situé dans le quartier de Govandi à l’est de la ville me semble beaucoup plus intéressant car, malgré toutes ses particularités, il est assez représentatif de ce qui se fait de pire à Bombay.

En effet, Shivaji-Nagar est considéré comme un des bidonvilles les plus pauvres de Bombay, et dans lequel la vie est très dure. En effet, son emplacement près d’une décharge géante, la pauvreté extrême de certains habitants, la forte mortalité infantile, la présence des maladies les plus pourries du monde (cancer, sida, lèpre, maladies respiratoires en tout genre, …) et d’autres sales trucs peu enviables créent un environnement extrêmement nuisible.

Sa situation communautaire délicate (moitié hindous-moitié musulmans), son statut légal très particulier (vu par tous comme un slum mais n’en n’ayant pas le statut), mais aussi sa vitalité, son foisonnement, et le dynamisme de certains de ses habitants-entrepreneurs (deux salles de sport, dont une fondée par un type plus large que haut et avec les bras de la taille d’une bite d’amarrage) ainsi que des maîtres d’œuvre (des centaines de logements sont construits ou rénovés chaque année) sont autant de raisons de s’intéresser à ce bidonville dans lequel un grand nombre des questions sociales, politiques, sanitaires, communautaires, identitaires ou religieuses se bousculent dans un chaos foutraque, foisonnant, plein de contradictions, mais tout de même fascinant.

L’organisation informelle, paradigme dominant?

Marché

On l’a vu auparavant, il est impossible aujourd’hui de donner une définition au mot « slum », il y a beaucoup trop de situations différentes. Cependant ce simple mot suffit à faire venir à l’esprit des gens des images de ruine, de misère et de saleté.

Mais c’est évidemment beaucoup plus compliqué que ça. Comment comparer des quartiers d’Asie, d’Afrique, ou d’Amérique du Sud, tant la démographie, les cultures et même la géographie sont différentes ? Est-ce vraiment cohérent d’englober sous une même définition des quartiers qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, certains ayant été créés il y a quelques mois alors que d’autres sont le prolongement d’anciens villages centenaires ? Peut-on vraiment mettre dans le même sac des habitations croulantes et éphémères qui sont le résultat d’une misère profonde, et d’autres qui obéissent parfois à une organisation, construites avec des matériaux convenables par des gens qui ont émis la volonté de s’y installer durablement ?

Selon les estimations, environ 60% des habitants de Bombay vivent dans des slums.

Le terme « slum » dans cette ville a moins une signification sociale et sanitaire qu’un sens légal. Les zones notifiées légalement comme étant des bidonvilles sont des zones éligibles à un certain nombre d’amélioration et d’accès aux facilités de base (eau, déchets, électricité…) mais ce ne sont pas des zones nécessairement anarchiques et horribles à vivre ; ce sont des zones où le fonctionnement économique, sociale et communautaire est juste différent de celui de la ville formelle.

Ce sont donc des quartiers informels, des quartiers qui se différencient du reste de la ville par un fonctionnement basé sur la vie de la communauté, sur des business locaux, sur le travail au black et les combines de toute sorte, sur l’entraide, la solidarité et les échanges de bons procédés. Rien n’est légal dans ces quartiers, mais rien n’y est vraiment illégal non plus.

Bombay est une ville paradoxale : l’objectif affiché depuis quelques années par dirigeants et autres grands urbanistes est d’en faire une « world class city » avec tours qui tutoient les nuages, infrastructures modernes et centres commerciaux débordants de voitures rutilantes et de bijoux scintillants. Mais Bombay n’est pas cette ville puisque les ¾ des habitants ne peuvent pas profiter de cette « modernité ». De plus, avant d’être une world class city, il faudrait déjà pouvoir faire respecter la loi et les règles : cette ville est avant tout réputée pour sa corruption galopante et, à titre d’exemple, la plupart des habitations ou bureaux construits depuis 20 ans ne sont même pas légaux.

Le chercheur José Castillo, qui a notamment travaillé sur les bidonvilles de Mexico, considère qu’il y a un certain nombre de leçons qui doivent être apprises de ces « urbanismes de l’informel » parmi lesquelles la diversité, la tolérance, l’innovation, l’adaptation et la participation de la communauté représentent un modèle plus séduisant que l’organisation formelle.

Modèle séduisant mais aussi modèle dominant à Bombay.

Et un modèle qu’il faut soutenir.

J’ai l’intime conviction qu’il faut travailler sur ce modèle, l’aider à être reconnu officiellement pour que tous les gens dont c’est la vie ne se retrouvent pas sans arrêt confrontés à des blocages institutionnels et légaux qui les oblige à vivre constamment en marge de la légalité.

Une reconnaissance du modèle informel permettrait aux habitants des bidonvilles non seulement de sécuriser légalement leur logement, de contracter des prêts pour l’améliorer, mais aussi de développer leur business et ainsi de transformer leur bidonville progressivement.