Réhabilitation, piège à cons

Image

Soyons un peu sérieux. Parlons de la politique de redéveloppement de la ville de Bombay. La question du redéveloppement des bidonvilles à Bombay est depuis toujours une question longue, compliquée et surtout insolvable pour les gouvernements successifs, les urban planners, les juristes, les sociologues et autres experts en tout genre qui se sont penchés sur la question depuis 50 ans. Et c’est vrai que ce n’est pas un problème évident.

A ce propos, Bombay a beaucoup été comparé à Singapour ou Shanghai, deux villes « modèles » qui ont réussi à résoudre en grosse partie ce problème dans les années 80 ou 90.

Bombay aussi a essayé, mais Bombay a échoué.

Entre 2001 et 2011, la population vivant dans des quartiers informels a augmenté de 50%, passant d’environ 6 millions à 9 millions.

Mais revenons aux stratégies employées par les différents gouvernements depuis 50 ans pour résoudre le problème.

Il y en a eu trois principales :

  • Slum clearance, soit l’éradication des bidonvilles ! Trop simple, trop brutal, ça n’a pas fonctionné, les habitants des bidonvilles, ne s’étant vu proposer que très peu de solutions de relogement, se réinstallaient progressivement aux mêmes endroits.

  • Slum upgrading, soit la légalisation des bidonvilles. Le fait de donner des titres de propriété aux habitants était, théoriquement, une bonne idée, mais notamment à cause d’un manque de soutien du gouvernement et d’une non implication des ONG, ce programme n’a pas rencontré le succès escompté.

  • Slum redevelopment, qui existe encore aujourd’hui. Il s’agit de reloger gratos les habitants dans des grands immeubles « neufs » en échange des terrains sur lesquels ils vivaient. Ce système est peut-être le pire car, en plus d’être très peu efficace, il amène à des abus spéculatifs terribles.

Ainsi, aujourd’hui, la situation légale qui règne est particulièrement mauvaise : l’Etat s’est totalement retiré du processus de réhabilitation, laissant le marché et les développeurs privés tout diriger. Les développeurs récupèrent des terrains hors de prix, en échange de la promesse de construire des immeubles qui (quand ils sont construits) sont d’une qualité plus que douteuse. Ni les habitants des slums, ni l’Etat, ni les ONG sont impliqués dans un processus qui est ni plus, ni moins de la poudre aux yeux et qui rend le marché immobilier de Bombay toujours plus instable et spéculatif.

Toi, toi, mon toit

Waiting for the man

« La crise du logement », ce concept qui sonne post-trente glorieuses, qui fleure bon les cités de Nanterre, les grands et gris terrains vagues et les loulous sur leurs bécanes pétantes, reste un problème majeur aujourd’hui en Europe, mais n’est rien de moins que LE problème le plus important des villes des pays en développement.

Les prix de l’immobilier à Bombay répondent à une logique difficile à comprendre. Aujourd’hui encore, Bombay est régulièrement citée comme étant une des villes les plus chères du monde pour le logement, et est constamment sous la menace d’une bulle spéculative qui n’en finit pas de gonfler.

Même s’il serait sans doute trop long et complexe de répondre à cette question, on peut se demander pourquoi une ville peut refuser à ce point de loger ses habitants.

L’immobilier concerne tout le monde : les très riches qui se font construire des tours d’ivoire et de béton à des prix défiant l’imagination (l’immeuble le plus cher du monde, 1 milliard de dollars, est ici à Bombay et est détenu par la richissime famille Ambani – ), les classes moyennes qui n’ont pas les moyens de s’acheter un appartement, même modeste, ou les classes les plus pauvres qui s’installent sur chaque mètre carré disponible sans savoir que leur terrain est potentiellement une mine d’or pour les rapaces immobiliers.

Ambani Building and Imperial towers

Il y a 479 000 maisons ou appartements vides dans la ville de Bombay, 542 463 logements vides dans le district de Thane et 23% des habitations de Navi Mumbai (New Bombay) sont vides (chiffres du recensement 2011) soit un total d’environ 1 040 000 de logements inoccupés.

Ces trois villes sont les plus grands pôles de population de la région métropolitaine de Bombay qui abrite plus de 20 millions de personnes.

Si on mettait une famille de cinq personnes dans chacun de ces logements, on pourrait loger 5,2 millions de personnes, soit un quart de la population totale et près de la moitié des gens vivant dans des logements informels ou des bidonvilles.

La frénésie immobilière et l’absence de régulation du gouvernement entraîne cette situation ubuesque ou des familles entières se massent dans des quartiers déjà surpeuplés et dans des conditions de précarité extrême, à l’ombre de hauts immeubles qui n’ont d’autre destin que de rester à moitié vides.

HANDSTORM, tornade manuelle

HANDSTORM

Il est important que les habitants des quartiers informels et des bidonvilles se sentent impliqués dans le développement de leur quartier. Il faut les soutenir dans leur démarche, dans leur envie de vivre chez eux, avec leurs familles, leurs amis, leurs voisins, dans des habitats décents ou les « facilités » sociales seront toujours présentes, et les minimum sanitaire et matériel seront garantis.

L’un des objectifs de Homegrown Cities est de travailler sur leurs maisons et montrer qu’elles sont améliorables à tous les niveaux : l’architecture, les infrastructures, le design intérieur, l’apparence extérieure peuvent être travaillés, améliorés, magnifiés.

Nous avons envie de leur prouver qu’ils peuvent être partie intégrante du développement de leur quartier, et qu’ils n’ont pas besoin de technologies futuristes et compliquées pour y parvenir.

Ce workshop se déroulera du 14 au 20 mars prochain à Shivaji Nagar, dans l’est de Bombay. Shivaji Nagar n’a pas la dénomination officielle de Slum. C’est une « resettlement colony » créée pour des travailleurs et des migrants. Le cadre n’est pas vraiment enchanteur : le quartier s’est développé entre un abattoir et une gigantesque décharge accueillant les déchets du tout Bombay. Cependant, cette puanteur à ciel ouvert n’a pas découragé les habitants qui ont progressivement développé leur quartier.

L’objectif de ce workshop est de rassembler les habitants de Shivaji-Nagar, les habitants des quartiers alentours, ainsi que des spécialistes et des maître d’oeuvre venant de Bombay, d’Inde, du Brésil ou d’Europe.

Trois thèmes seront développés:

  • Design intérieur/meubles

  • Architecture/construction

  • Infrastructure/organisation urbaine

Nous voulons ainsi travailler sur ce qui fait la vie quotidienne des gens et montrer qu’en effectuant de petites améliorations à la force des mains, on peut aboutir à un résultat très satisfaisant.

La combinaison entre les compétences des architectes, designers et artistes d’un côté, et des maçons, des artisans et des maîtres d’œuvre de l’autre côté promet d’être très intéressante.

Rester plutôt que s’en aller

Maximum City jacket

“They look around the office appreciatively. Amol owns a flat in Nalasopara. Sumil owns a flat in Dahisar. Neither of them is considering moving their families out from the slum to the flat. I ask them why. ‘You can give me a house anywhere – Nepean Sea road, Bandra – but I won’t leave Jogeshwari,’ says Amol. (…) ‘In chawls we get all facilities,’ adds Amol. ‘All facilities’ is term used in the real-estate advertisements to describe such things as indoor plumbing, a lift, a modern kitchen. But a different definition applies to what a facility is in the slum. ‘When you come back from work you can stand on the road with the boys and discuss. In the chawl, we can say to our neighbours that we have to go to hospital and they will come instantly.’”

Maximum City, Suketu Mehta, 2004

C’est le paradoxe : pourquoi les habitants des slums voudraient rester dans des endroits insalubres, sans intimité et sans les « facilités » et le confort qui caractérisent notre existence moderne ?

Les habitants de ces bidonvilles ont leur propre définition du confort: le fait de savoir qu’ils seront toujours soutenu par quelqu’un de la communauté, qu’ils auront toujours quelqu’un à qui parler, quelqu’un pour leur donner un coup de main leur paraît beaucoup plus important que la chasse d’eau dans les toilettes et le sol en marbre dans le salon. Cette solidarité les incité à rester dans leur quartier.

C’est pourquoi, il ne faut pas stigmatiser tous ces quartiers pour leur manque d’hygiène et l’entassement de population qui y règne : les habitants y développent leur vie et travaillent progressivement à en faire des endroits vivables.

Leur profond sens de la communauté est leur plus grand trésor, il serait dommage de le gâcher.

Homegrown Cities

Homegrown cities logophoto

Voici le projet sur lequel je travaille, Homegrown Cities. Ce titre, intraduisible littéralement en français, ou alors peut-être par l’expression assez marrante « les villes faites maison », sous-tend l’idée de villes et de quartiers développées par les habitants, à leur image, l’idée de villes – ou de quartiers – informelles et attachées à l’aspect local. En gros, des villes construites par les habitants, pour les habitants, avec les moyens des habitants.

Avec ce projet, nous souhaitons donc devenir partie prenante dans le développement local des quartiers dits informels. Nous souhaitons construire ou rénover des petites maisons en partenariat avec les résidents, avec des maçons vivant dans ces quartiers, ainsi qu’avec des architectes et ingénieurs pouvant apporter des méthodes et design innovants.

Street of Shivaji Nagar, Mumbai

Avec ce projet, nous n’allons pas révolutionner les bidonvilles. Nous souhaitons prouver que l’amélioration de ces quartiers passe par une autre voie que celle proposée actuellement par le gouvernement. Nous ne voulons ni détruire, ni expulser, ni reloger les habitants, mais nous souhaitons renforcer les méthodes de construction existantes en mettant en valeur le travail des artisans qui travaillent sur ces maisons.

Nous voulons aider les habitants à se réapproprier leur quartier à travers la rénovation de leurs habitations et l’apport de méthodes de construction cohérentes.

Il faut savoir que, dans beaucoup de bidonvilles de Bombay, les maisons ne sont pas en fer et en tôle, mais construit avec des matières solides, sur des vraies fondations. Dans beaucoup de quartiers, des maîtres d’œuvre locaux construisent pour les habitants des maisons simples et de bonne qualité. Ceci prouve aussi que les habitants souhaitent s’implanter dans leurs quartiers de manière durable et non pas fuir les bidonvilles comme on pourrait le croire.

Quelques chiffres

Skyline

Bombay et son agglomération comptent aujourd’hui plus de 20 millions d’habitants. Le dernier recensement officiel remonte à 2011 mais il est très difficile d’avoir des chiffres exacts, en raison notamment de l’afflux constant de nouveaux habitants et de l’absence d’organisation urbaine.

La municipalité du « Grand Mumbai » regroupe environ 13 millions d’habitants pour une surface de 603,4 km², dont 437.71 km² sont habités (le reste sont des terrains administratifs) ce qui fait une densité d’environ 29700 hab/km² sur la surface habitée.

C’est une densité élevée, mais à titre de comparaison, elle est à peu près équivalente à la densité de Paris intra-muros et bien inférieure à la densité de l’île de Manhattan à New-York.

Rien d’exceptionnel donc, en comparaison d’autres grandes villes du monde.

Cependant, le problème se situe sur un autre plan : 62% des habitants de Bombay vivent dans des bidonvilles ou des quartiers informels. Ce qui fait environ 8 millions de personnes. Ce chiffre est déjà énorme mais ce qui est génant, c’est de savoir que ces 8 millions de personnes vivent sur seulement 15% du territoire de la ville. Soit environ 90 km².

Imaginez 8 millions de personnes s’entassant sur un terrain de 90 km².

Ou alors une population de 89000 habitants par km².

Ou encore une ville de la dimension de Paris, mais avec 4 fois plus d’habitants.

C’est un entassement d’êtres humains tellement énorme qu’on a du mal à y croire.

168218_une-foule-immense-est-rassemblee-pour-acclamer-le-general-de-gaulle-place-de-la-concorde-le-26-aout-1944-au-lendemain-de-la-liberation-de-paris

Et ce n’est pas tout ! Dharavi, le plus grand bidonville d’Inde, situé au centre de Mumbai a une envergure de très précisément 2,39 km² et une population comptant entre 700000 et 1 million d’habitants. Ce qui équivaut à une densité comprise entre 293000 hab/km² et 418000 hab/km² !

C’est gigantesque.

Pour reprendre un exemple bien français, c’est comme si on prenait la population de Marseille et qu’on la déposait sur le rocher de Monaco. Ca ferait sans doute plus de supporters au stade Louis II, mais Albert ne serait sans doute pas très content.

Voilà pour les chiffres. Ca en fait beaucoup mais ça permet de mieux se rendre compte du contexte dont nous allons parler.

Il faut aussi prendre en compte la marge d’erreur comprise entre 5 et 10% pour ces chiffres car ils reposent sur le dernier recensement datant de 2011 – qui lui-même ne devait pas être très précis – et essaient de prendre en compte l’afflux constant d’habitants chaque année (entre 100 et 300 familles s’installent à Mumbai chaque année) ainsi que différentes sources précisant que les chiffres du recensement sont probablement en dessous de la réalité.

L’objectif n’est pas d’être d’une précision diabolique mais de donner des ordres de grandeurs et des comparaisons, bien suffisants ici pour montrer l’ampleur dramatique de la situation.

Mais de quoi parle t-on?

ImageSlums à : Londres au XIXe siècle, Paris au XXe siècle, Rio, Bombay, Karachi, Nairobi aujourd’hui

Il y a un réel problème de définition aujourd’hui pour qualifier ce qu’on appelle en français « les bidonvilles ». Ce terme n’est plus du tout représentatif de la réalité, de la diversité des situations dans le monde et implante dans l’esprit des gens une image d’Epinal très négative qui n’aide pas à définir ce dont on parle.

Bidonvilles, slums, shanty towns, townships, favelas, barrios : les noms pour représenter une «zone urbaine très densément peuplée, caractérisée par un habitat inférieur aux normes et misérable» (selon la définition archi simple de UN habitat) sont souvent le fruit de spécificités culturelles et temporelles qui ne peuvent refléter un modèle unique.

Par exemple, le terme français bidonville est apparu dans la première moitié du XXe siècle en Afrique du Nord pour désigner ces habitations faites de tôles et, je vous le donne en mille, de bidons.

Les mots slums ou shanty towns, eux, sont à l’origine synonymes non seulement de saleté et de délabrement mais aussi de lieux dans lesquels règnent la criminalité, le racket et la prostitution.

Ces dénominations bancales, et la définition ultra simple donnée auparavant sont très loin de définir la multitude de cas régnant dans ces quartiers. En effet, les bidonvilles ne sont pas nécessairement composés de structures extrêmement fragiles faites de tôle, de fer et de matériaux de récupération, comme on peut le penser.

Dans une étude parue en 2001 et publiée par la Municipal Corporation of Greater Mumbai (MCGM), on peut lire que 62% des habitations des bidonvilles de Bombay sont faites de matériaux permanents (murs de briques et toits en ciment) auxquels on peut ajouter 27% qui sont des structures semi-permanentes, c’est à dire avec mur de briques mais des toits encore fragiles. Nous ne sommes ainsi pas loin de 90% de structures « en dur ».

Et même si on considère que cette étude a été réalisée il y a une douzaine d’années, et que l’arrivée massive  de nouveaux habitants chaque année, ainsi que les techniques de recensement probablement très discutables doivent changer la donne, cette situation prouve que « l’habitat inférieur aux normes et misérable » n’est pas nécessairement la règle, en tout cas à Bombay.

Salut!

WP_002008

Hello, je suis à Bombay.

La température est de 28 °C, l’humidité est d’environ 40% et il fait beau, c’est très chouette.

Une pellicule de pollution recouvre le soleil qui disparaît généralement bien avant de toucher la ligne d’horizon.

C’est la fête dans mon quartier, des feux d’artifices explosent dans le ciel, mais il fait encore jour donc on ne les voit pas. C’est malin.

En revanche, ils font un bruit assourdissant, ça doit être l’objectif premier des gamins qui les balancent.

Bombay, c’est Mumbai bien sûr, mais c’est aussi un gin qui n’a rien d’historique (le Bombay Sapphire, créé en 1987), les Rickshaws, Bollywood, la circulation complètement dingue, les trains bondés, les bidonvilles et beaucoup d’autres choses aussi.

Les bidonvilles : ce termes est constamment associé à Bombay. Ils sont partout ici, pas besoin de marcher très longtemps pour croiser un logement de fortune qui sera ou non dissimulé. Même dans mon quartier, qui n’est rien de plus qu’un quartier de nouveaux riches, j’ai découvert que le petit supermarché dans lequel je fais parfois mes courses est situé dans un tout petit bidonville. Je ne m’en étais pas rendu compte avant car j’y allais toujours de nuit, mais en journée, les choses sont franchement plus évidentes.

Malgré tout, il y a quelques choses d’assez particulier dans les bidonvilles d’ici : ceux-ci obéissent à une multitude de modèles différents. Dans certains quartiers, les habitants ont amélioré leur petite maison au point que bon nombre d’entre elles sont construites avec des matériaux solides et les façades sont en bon état. Il n’est pas rare de tomber sur des petits quartiers où se succèdent boutiques, ateliers, temples et où les gens vivent leur vie de façon normale.

C’est la raison pour laquelle la vision unique qu’on a sur les bidonvilles ne tient plus : le développement d’une organisation sociale et d’un urbanisme différents reposant sur un système économique informel a mené à une grande variété de situations qu’il est difficile de décrire en une seule définition.

Mais attention! Il ne s’agit pas de dire que tout est rose dans ces quartiers : la pauvreté et la maladie y sont très répandus, les ordures s’amoncellent, et il est toujours très difficile d’accéder à l’eau, à l’électricité et à des sanitaires convenables, mais la vitalité et l’activité des habitants permettent – dans certains quartiers – d’arriver à une situation urbaine qui entretient l’espoir d’une amélioration.